Majeur depuis 1651, Louis XIV entend
bien régner par lui-même et écarter autant
que possible le ministre Mazarin. La guerre contre l'Espagne n'est
toujours pas terminée, et une victoire serait bien utile
pour légitimer un peu le jeune souverain. La bataille de
Landrecies, en 1655, tombe donc à point nommé.
A cette date, les armées des
maréchaux Turenne et La Ferté, au service de Sa
Majesté, arrivent aux portes de la ville. La tâche
ne s'annonce pas facile : depuis le retour des Espagnols en 1544,
ces derniers ont nettement amélioré la qualité
des remparts, des murailles et des défenses. La victoire
est cependant nécessaire, car la France ne peut se permettre
d'épuiser plus longtemps ses ressources dans cette guerre
sans fin.
Après plusieurs jours de lutte,
la place forte capitule face aux Français. Turenne et La
Ferté entrent dans la ville en conquérant : ils
ne savaient pas encore que leur exploit ferait de Landrecies une
ville française jusqu'à aujourd'hui. La prise de
la ville entraîne une forte émotion, non seulement
chez les Landreciens mais aussi chez tous les Français
qui espéraient la fin prochaine de la guerre. Nicolas Pérelle,
graveur du XVIIème siècle, a conservé de
l'évènement une oeuvre où l'on peut distinguer
le combat de quelques soldats français et espagnols, avec
en fond Landrecies et ses remparts :
En 1659, le Traité des Pyrénées
met fin (provisoirement) à la guerre franco-espagnole.
Madrid accepte et reconnaît officiellement la souveraineté
française sur la ville de Landrecies. Louis XIV continuera
ensuite à gagner des territoire sur les Espagnols dans
le nord de la France : la guerre de Dévolution (1665-1668)
apporte notamment Lille et Douai. La guerre de Hollande (1672-1679)
donne à la France Valenciennes, Maubeuge et Cambrai. En
1679, le Traité de Nimègue définit la frontière
nord de la France telle qu'elle existe encore aujourd'hui...
Peu après son intégration
au territoire français, Landrecies se refait une beauté
: le célèbre Vauban élabore en effet de toutes
nouvelles murailles, extrêmement bien conçues, et
grâce auxquelles les deux derniers sièges de la place
forte se solderont par des échecs.
Sous l'administration française,
Landrecies prend une certaine importance régionale. Dès
1661, elle devient le siège d'une prévôté
royale, c'est-à-dire un centre judiciaire, administratif
et militaire.
Les Landreciens vivent alors quelques
décennies de tranquillité, mais en 1700 les choses
se compliquent. Cette année-là, le roi d'Espagne
Charles II meurt. Or, dans son testament, il choisit de léguer
son royaume au duc d'Anjou, qui n'est autre que le petit-fils
de Louis XIV. Le danger était évident pour les voisins
de la France : si le duc d'Anjou héritait de l'Espagne,
et qu'à la mort de Louis XIV il héritait aussi du
royaume de France, il se formerait une super-puissance regroupant
la France et l'Espagne. Voilà pourquoi les autres pays
européens (Saint-Empire, Angleterre, Hollande, Danemark,
Savoie...) réagissent vivement, et forment une coalition
pour contrer le projet franco-espagnol. C'est le début
de la guerre de succession d'Espagne.
Du côté des coalisés,
la guerre est menée par de grands capitaines, et notamment
par un certain Eugène de Savoie, surnommé prince
Eugène. Ce dernier, commandant en chef des armées
du Saint-Empire, donne beaucoup de fil à retordre à
quelques généraux français, comme le duc
de Villars par exemple.
En 1712, la France, envahie de toutes
parts, est au plus mal. L'armée du prince Eugène
sillonne le nord du pays à la recherche de son adversaire
le duc de Villars. Confiant, Eugène prend alors la décision
d'assiéger Landrecies. Les habitants, habitués à
ce genre de situation, font preuve d'une résistance acharnée
face aux assauts d'Eugène. Or, avec toute une part de l'armée
ennemie campée autour de Landrecies, Villars eut plus de
facilité à remporter une victoire éclatante
à Denain au même moment, une victoire qui sauva la
France de l'invasion. Autrement dit, c'est en partie grâce
au courage des Landreciens que la guerre se termina bien pour
le pays. Il s'agissait là du premier grand service rendu
par la commune à la nation française.
Le prince Eugène, tout déconfit,
n'eut plus qu'à abandonner le siège sous les railleries
des Landreciens. La paix fut signée à Rastatt en
1714.
Le XVIIIème siècle marque
l'apogée de la tradition militaire landrecienne. Il s'agit
de la grande époque de construction des casernes : le duc
de Biron, gouverneur de Landrecies de 1735 à 1757, en fait
édifier une à son nom dans
la Ville haute, et qui existe toujours aujourd'hui. On en
crée une autre pour la Ville basse, dénommée
"caserne Saint-Charles", et destinée à
abriter les régiments de cavalerie. Après la révolution,
on la rebaptisera "caserne Clarke",
en hommage au maréchal napoléonien
né à Landrecies. Elle aussi est encore visible,
au bord de la Grand'Rue... Une troisième, par contre, dénommée
"caserne St-Philippe" puis "caserne Dupleix",
fut rasée par la suite. A son emplacement existe maintenant
un centre socio-culturel.
Les Landreciens ont bien raison de
s'équiper autant que possible, car de nouvelles épreuves
les attendent. La révolution française éclate
en 1789. En avril 1792, la guerre avec l'Autriche commence. Très
exactement deux ans plus tard, en avril 1794, les troupes autrichiennes
sont devant Landrecies. Depuis les sièges du XVIème
et du XVIIème siècle, les techniques militaires
ont beaucoup évolué, et la ville n'y est pas forcément
préparée.
Du 17 au 24 avril, les pauvres Landreciens
subissent un déluge meurtrier de tirs d'artillerie qui
ravage la ville. D'après les témoignages de l'époque,
il ne restait pas dix maisons intactes à l'issue du bombardement.
Tous les historiens s'accordent à souligner la résistance
héroïque dont les habitants ont pourtant fait preuve,
notamment une certaine Marguerite Grumiau, qui a aujourd'hui une
rue à son nom. La ville finit par tomber, comme d'ailleurs
tout le Hainaut, aux mains des soldats autrichiens. L'occupation
sera de courte durée, puisque le général
Shérer et les troupes révolutionnaires réinvestissent
la place forte dès le mois de juillet.
Le gouvernement français, favorablement
impressionné par la résistance des Landreciens,
leur offre en récompense de tout reconstruire à
ses propres frais, car "Les Landreciens ont bien mérité
de la patrie" (décret du 27 Ventôse an III,
devenu depuis la devise du blason de la ville). On promet en outre
à la ville un petit monument
pour commémorer cette date : il ne sera érigé
en fait qu'en 1899 ! Pour cet épisode glorieux de son histoire,
on attribuera aussi à la commune dans son ensemble (chose
rare) la Légion d'honneur.