IV) Landrecies enfin française ! (1655 - 1794)

Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne et maréchal de France (1611-1675)

Majeur depuis 1651, Louis XIV entend bien régner par lui-même et écarter autant que possible le ministre Mazarin. La guerre contre l'Espagne n'est toujours pas terminée, et une victoire serait bien utile pour légitimer un peu le jeune souverain. La bataille de Landrecies, en 1655, tombe donc à point nommé.

A cette date, les armées des maréchaux Turenne et La Ferté, au service de Sa Majesté, arrivent aux portes de la ville. La tâche ne s'annonce pas facile : depuis le retour des Espagnols en 1544, ces derniers ont nettement amélioré la qualité des remparts, des murailles et des défenses. La victoire est cependant nécessaire, car la France ne peut se permettre d'épuiser plus longtemps ses ressources dans cette guerre sans fin.

Après plusieurs jours de lutte, la place forte capitule face aux Français. Turenne et La Ferté entrent dans la ville en conquérant : ils ne savaient pas encore que leur exploit ferait de Landrecies une ville française jusqu'à aujourd'hui. La prise de la ville entraîne une forte émotion, non seulement chez les Landreciens mais aussi chez tous les Français qui espéraient la fin prochaine de la guerre. Nicolas Pérelle, graveur du XVIIème siècle, a conservé de l'évènement une oeuvre où l'on peut distinguer le combat de quelques soldats français et espagnols, avec en fond Landrecies et ses remparts :

On distingue bien la forme étoilée des remparts, qui permettait de limiter les dégâts de l'artillerie.

En 1659, le Traité des Pyrénées met fin (provisoirement) à la guerre franco-espagnole. Madrid accepte et reconnaît officiellement la souveraineté française sur la ville de Landrecies. Louis XIV continuera ensuite à gagner des territoire sur les Espagnols dans le nord de la France : la guerre de Dévolution (1665-1668) apporte notamment Lille et Douai. La guerre de Hollande (1672-1679) donne à la France Valenciennes, Maubeuge et Cambrai. En 1679, le Traité de Nimègue définit la frontière nord de la France telle qu'elle existe encore aujourd'hui...

Peu après son intégration au territoire français, Landrecies se refait une beauté : le célèbre Vauban élabore en effet de toutes nouvelles murailles, extrêmement bien conçues, et grâce auxquelles les deux derniers sièges de la place forte se solderont par des échecs.

Représentation artistique des remparts de Vauban à Landrecies (XIXème siècle)

Sous l'administration française, Landrecies prend une certaine importance régionale. Dès 1661, elle devient le siège d'une prévôté royale, c'est-à-dire un centre judiciaire, administratif et militaire.

Les Landreciens vivent alors quelques décennies de tranquillité, mais en 1700 les choses se compliquent. Cette année-là, le roi d'Espagne Charles II meurt. Or, dans son testament, il choisit de léguer son royaume au duc d'Anjou, qui n'est autre que le petit-fils de Louis XIV. Le danger était évident pour les voisins de la France : si le duc d'Anjou héritait de l'Espagne, et qu'à la mort de Louis XIV il héritait aussi du royaume de France, il se formerait une super-puissance regroupant la France et l'Espagne. Voilà pourquoi les autres pays européens (Saint-Empire, Angleterre, Hollande, Danemark, Savoie...) réagissent vivement, et forment une coalition pour contrer le projet franco-espagnol. C'est le début de la guerre de succession d'Espagne.

Du côté des coalisés, la guerre est menée par de grands capitaines, et notamment par un certain Eugène de Savoie, surnommé prince Eugène. Ce dernier, commandant en chef des armées du Saint-Empire, donne beaucoup de fil à retordre à quelques généraux français, comme le duc de Villars par exemple.

Eugène de Savoie-Carignan, dit le Prince Eugène (1663-1736)

En 1712, la France, envahie de toutes parts, est au plus mal. L'armée du prince Eugène sillonne le nord du pays à la recherche de son adversaire le duc de Villars. Confiant, Eugène prend alors la décision d'assiéger Landrecies. Les habitants, habitués à ce genre de situation, font preuve d'une résistance acharnée face aux assauts d'Eugène. Or, avec toute une part de l'armée ennemie campée autour de Landrecies, Villars eut plus de facilité à remporter une victoire éclatante à Denain au même moment, une victoire qui sauva la France de l'invasion. Autrement dit, c'est en partie grâce au courage des Landreciens que la guerre se termina bien pour le pays. Il s'agissait là du premier grand service rendu par la commune à la nation française.

Le prince Eugène, tout déconfit, n'eut plus qu'à abandonner le siège sous les railleries des Landreciens. La paix fut signée à Rastatt en 1714.

Le XVIIIème siècle marque l'apogée de la tradition militaire landrecienne. Il s'agit de la grande époque de construction des casernes : le duc de Biron, gouverneur de Landrecies de 1735 à 1757, en fait édifier une à son nom dans la Ville haute, et qui existe toujours aujourd'hui. On en crée une autre pour la Ville basse, dénommée "caserne Saint-Charles", et destinée à abriter les régiments de cavalerie. Après la révolution, on la rebaptisera "caserne Clarke", en hommage au maréchal napoléonien né à Landrecies. Elle aussi est encore visible, au bord de la Grand'Rue... Une troisième, par contre, dénommée "caserne St-Philippe" puis "caserne Dupleix", fut rasée par la suite. A son emplacement existe maintenant un centre socio-culturel.

La caserne Dupleix au XIXème siècle

Les Landreciens ont bien raison de s'équiper autant que possible, car de nouvelles épreuves les attendent. La révolution française éclate en 1789. En avril 1792, la guerre avec l'Autriche commence. Très exactement deux ans plus tard, en avril 1794, les troupes autrichiennes sont devant Landrecies. Depuis les sièges du XVIème et du XVIIème siècle, les techniques militaires ont beaucoup évolué, et la ville n'y est pas forcément préparée.

Du 17 au 24 avril, les pauvres Landreciens subissent un déluge meurtrier de tirs d'artillerie qui ravage la ville. D'après les témoignages de l'époque, il ne restait pas dix maisons intactes à l'issue du bombardement. Tous les historiens s'accordent à souligner la résistance héroïque dont les habitants ont pourtant fait preuve, notamment une certaine Marguerite Grumiau, qui a aujourd'hui une rue à son nom. La ville finit par tomber, comme d'ailleurs tout le Hainaut, aux mains des soldats autrichiens. L'occupation sera de courte durée, puisque le général Shérer et les troupes révolutionnaires réinvestissent la place forte dès le mois de juillet.

Marguerite Grumiau lors du siège de 1794. Par le peintre landrecien Ernest Amas

Le gouvernement français, favorablement impressionné par la résistance des Landreciens, leur offre en récompense de tout reconstruire à ses propres frais, car "Les Landreciens ont bien mérité de la patrie" (décret du 27 Ventôse an III, devenu depuis la devise du blason de la ville). On promet en outre à la ville un petit monument pour commémorer cette date : il ne sera érigé en fait qu'en 1899 ! Pour cet épisode glorieux de son histoire, on attribuera aussi à la commune dans son ensemble (chose rare) la Légion d'honneur.

 

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