Aussi bizarre que cela puisse paraître,
à l'heure qu'il est, Landrecies a été plus
longtemps sous domination de l'empire germanique (de 843 à
1482, soit 639 ans) que sous domination française (de 1655
à aujourd'hui, soit seulement 347 ans !!)
En 843, donc, le territoire de Landrecies
passe sous la coupe du royaume de Lothaire. A l'issue des nombreuses
guerres intestines qui s'ensuivent entre les trois royaumes, la
situation évolue et se trouve simplifiée : bientôt
on n'a plus qu'un royaume de France à l'ouest et un royaume
de Germanie à l'est. Landrecies se situe dans le royaume
de Germanie, qui prend le nom de Saint-Empire-Romain-Germanique
en 962.
Landrecies doit donc se soumettre pendant
600 ans à ce royaume puis à cet Empire. Ce qui ne
l'empêchera pas de changer régulièrement de
maîtres pendant cette période. En effet la particularité
du Saint-Empire est qu'il consiste en une communauté d'une
multitude de petits Etats indépendants (plus de 350 par
moments). Un peu comme la communauté européenne
aujourd'hui : la France, par exemple, peut passer de Giscard d'Estaing
à Mitterrand, puis de Mitterrand à Chirac sans que
cela remette en cause son appartenance à l'Union Européenne.
De même, pendant 600 ans, Landrecies va souvent changer
de tutelle, sans pour autant sortir du Saint-Empire.
On peut donc distinguer plusieurs phases
différentes de domination pendant la période germanique
de Landrecies : courte indépendance (IXème - 1096),
domination de la seigneurie d'Avesnes (1096 - 1330), puis du comté
du Hainaut (1330 - 1428), et enfin du duché de Bourgogne
(1428 - 1482). De 1482 à 1655, Landrecies, en théorie,
reste encore vassale de l'Empereur germanique, mais en réalité,
après la mort de Charles Quint en 1555, le Saint-Empire
s'efface peu à peu face aux Habsbourg espagnols, nouveaux
maîtres du bourg. (cf section III)
La courte indépendance de
l'alleu de Landrecies (IXème
siècle - 1096)
Comme on l'a vu en section I, vers
le VIIème siècle un petit village est réapparu
sur la rive gauche de la Sambre, à l'emplacement de l'ancien
bourg gallo-romain, et peut-être sur l'impulsion de Landri.
Le fait de passer sous administration
du Saint-Empire-Romain-Germanique ne bouleverse pas outre mesure
la paisible vie paysanne des Landreciens. A cette époque
Landrecies n'est presque rien : on n'y trouve sans doute que quelques
fermes éparpillées çà et là,
convergeant vaguement vers le centre sur la rive gauche. Bref,
une contrée pauvre, et sans grand intérêt
pour les seigneurs environnants.
Voilà pourquoi, pendant deux
siècles, le petit bourg jouit d'une grande indépendance
au sein du Saint-Empire. Landrecies est alors ce qu'on appelle
un "alleu". Ce terme désigne en fait une terre
affranchie de toute redevance à payer et ne relevant d'aucune
seigneurie. Le concept opposé est celui de " fief
".
La domination de la seigneurie d'Avesnes(1096 - 1330)
1096 n'est qu'une date très
approximative. En réalité, on ignore comment l'alleu
de Landrecies est passé aux mains des seigneurs d'Avesnes
(une ville moyenne, 17 km à l'est, aujourd'hui chef-lieu
d'arrondissement). Si l'on choisit généralement
de retenir cette date, c'est qu'en 1096 le seigneur d'Avesnes,
Gossuin, fait élever un puissant donjon carré au
bord de la Sambre, en aval de Landrecies. On pense qu'il se situait
au niveau des Etoquies, entre la rivière et la forêt
de Mormal, et que le contrôle de la rivière était
assuré par un gué, le "Mauwé".
La construction de ce donjon symbolise
donc la prise de pouvoir des seigneurs avesnois. En fait, cette
domination sera très bénéfique à Landrecies,
puisqu'elle va enfin permettre son développement. Deux
seigneurs, notamment, vont beaucoup apporter à la jeune
commune au XIIème siècle : Nicolas d'Avesnes, puis
son fils Jacques.
Vers 1140, Nicolas d'Avesnes réalise
ce qui peut être décrit comme l'acte fondateur de
Landrecies : la construction d'un puissant château péager
sur la rive droite de la Sambre, juste en face de la bourgade
de la rive gauche (il n'en reste aujourd'hui presque plus rien).
Les Landreciens, jusque là cantonnés de l'autre
côté de la Sambre, vont peu à peu s'installer
autour de la place forte, et le village prend progressivement
de l'importance en se développant des deux côtés
de la rivière : très vite, il se dote d'un petit
rempart, d'un marché et d'une halle où les paysans
du coin prennent l'habitude de venir vendre leurs produits.
Cette prospérité n'est
pas sans attirer les convoitises de quelques puissants voisins,
notamment le Comte de Hainaut, un certain Baudouin VIII. En 1185,
ce dernier prend la ville d'assaut et la ravage de fond en comble.
C'est la première destruction de la commune, qui en verra
bien d'autres...
Malgré cette catastrophe, le
seigneur d'Avesnes reprend vite le dessus et réinvestit
une Landrecies en ruines. Les habitants ne se découragent
pas et entament la reconstruction. Pour les y encourager, Jacques
d'Avesnes, le fils de Nicolas, leur octroie quelques droits et
libertés en rédigeant une charte communale, en 1191.
Landrecies jouit ensuite d'une longue
période de paix et de prospérité. Le château
devient le centre d'un aménagement agricole : on assèche
les prairies basses, on construit une ferme piscicole (= élevage
de poissons) à La Folie, et un manoir agricole dans les
pâtures du Plouvien. En 1314, Guillaume de Châtillon,
seigneur d'Avesnes, accorde aux Landreciens une foire populaire
à la Saint-Luc, le 18 octobre. Aujourd'hui encore, la foire
de Landrecies se tient tous les ans à cette date et constitue
un évènement important pour la commune.
La domination du comté du
Hainaut (1330 - 1428)
Le comté du Hainaut réussit
finalement à prendre le contrôle de Landrecies, mais
sans violence. Il est simplement déclaré en 1330
que Landrecies (ainsi que Le Favril) sont désormais tenus
par le comte de Hainaut, et que ce dernier délègue
son pouvoir au seigneur d'Avesnes, qui devient donc soumis.
Ce changement de destinée ne
trouble pas le développement de Landrecies. Vers cette
époque, le château et la ville se dotent d'une alimentation
en eau potable, par l'intermédiaire d'une conduite en bois
descendant depuis la source du faubourg Soyères (vient
de "seuwière", qui désigne cet aqueduc).
La domination du duché de
Bourgogne (1428 - 1482)
A la même époque, c'est
l'effervescence de l'autre côté de la frontière,
en France : la guerre de cent ans fait rage. Déjà
Landrecies avait été brièvement occupée
par les troupes anglaises en 1424, qui s'étaient réfugiées
dans les limites du Saint-Empire, allié de l'Angleterre,
pour réorganiser leurs forces.
Parallèlement, le duc de Bourgogne
Philippe le Bon, autre allié de l'Angleterre, tente par
tous les moyens d'affaiblir son ennemi le roi de France. Il a
notamment un grand projet : accaparer le plus de territoires possibles
pour former un gigantesque Etat bourguignon au nord-est et contrer
le royaume de France. Il y arrive progressivement par achats,
mariages ou héritages. En 1428, il hérite (pour
des raisons généalogiques obscures) du comté
du Hainaut. Landrecies passe donc sous la coupe du duc de Bourgogne.
(aujourd'hui encore, on y trouve d'ailleurs une "rue de Bourgogne")
Dans la carte ci-dessous, tous les
territoires qui lui appartiennent vers 1460 sont coloriés...
Les Landreciens s'accommodent tant
bien que mal de l'occupation bourguignonne. Comme le duc de Bourgogne
dispose d'un immense territoire et qu'il ne peut pas être
partout, il désigne un seigneur pour Landrecies et Avesnes : un certain
Olivier, marié à Jeanne de Lallaing . Cette "dame"
de Landrecies (1433 - 1467) est restée dans les mémoires
: on se souvient d'elle en tant que bienfaitrice de la commune,
sans doute parce qu'elle sût soulager les maux des habitants
en ces temps guerriers. Aujourd'hui, une paisible petite rue de
la Ville haute porte son nom.
En 1477, c'est Louis XI qui est au
pouvoir en France. Ce souverain très pragmatique sait que
l'affirmation de son autorité doit obligatoirement passer
par l'anéantissement de la puissance bourguignonne. C'est
pourquoi il lance son armée contre le célèbre
et cruel Charles le Téméraire, fils et successeur
de son père Philippe.
Vs.
Landrecies étant devenue un
bastion bourguignon, Louis XI la traite en ennemie : dans le courant
de l'année 1477, l'armée française met le
siège devant la petite ville, et finit par s'en emparer.
Louis XI tient beaucoup à se venger des anciennes humiliations
infligées par Charles le Téméraire, en conséquence
de quoi la pauvre Landrecies est pillée puis littéralement
réduite en cendres...!
Louis XI doit ensuite se replier, mais
son objectif est atteint : la maison de Bourgogne est anéantie.
Au traité d'Arras, en 1482, Louis XI s'approprie la Bourgogne
et la Picardie, mais reconnaît sur le reste des anciens
territoires bourguignons la souveraineté de Maximilien
de Habsbourg, archiduc d'Autriche. Ce dernier avait en effet épousé
Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire,
ce qui lui permettait de revendiquer ces terres.
Landrecies devient ainsi un fief des
Habsbourg d'Autriche, intégré aux Pays-Bas.